La Mission Economique française en Chine 1945 – 1949

20 mars 2009.

 

Les prémices

La Mission économique française d’Extrême-Orient a organisé tous les échanges commerciaux entre la France et la Chine, de 1945 à 1949. Or ce sujet reste absolument inconnu ! Sans doute parce que la Mission a existé pendant les dernières années du régime nationaliste de Chiang Kai-shek, et que le « rouleau compresseur » communiste en a effacé la mémoire. Or il s’agit d’une aventure originale, moderne et pleine de promesses, la Mission ayant été considérée comme un grand succès pendant deux ans. Mais ce fut aussi une aventure sans lendemain, les deux dernières années de son existence n’ayant été qu’une succession d’épreuves, en raison de la décomposition de la Chine nationaliste, et des difficultés budgétaires d’une France en pleine reconstruction. La Mission a entraîné dans son sillage une quinzaine de Français, fascinés par la Chine. J’ai eu la chance d’avoir accès à cette histoire, grâce aux archives laissées par mon père, Henri Maux, qui en a été l’artisan essentiel et n’a survécu que six mois à la disparition de son œuvre.

Les prémices de la Mission

En septembre 1944, le gouvernement français (GPRF) décide d’envoyer une mission exploratoire en Chine libre, le pays étant encore occupé aux deux-tiers par les armées japonaises. Le diplomate Georges-Picot passe trois mois à Chungking, au Sichuan, où le gouvernement nationaliste de Chiang Kai-shek s’est réfugié. En octobre 1944, il envoie un télégramme à Paris, qui arrive sur le bureau de René Pleven, alors ministre des Colonies : il relate son entrevue avec T.V. Soong, le ministre des Affaires étrangères chinois. Celui-ci a affirmé que la Chine désirait renouer des relations économiques avec la France « Je souhaite vivement voir revenir l’expert Henri Maux, car je n’ai jamais trouvé son égal parmi les techniciens étrangers venus travailler en Chine »

Henri Maux est polytechnicien, ingénieur des Ponts et Chaussées du cadre indochinois. C’est dans ce territoire qu’il a effectué ses débuts de carrière. Puis il a accepté une mission, pour la SDN, comme conseiller technique auprès du gouvernement nationaliste. Arrivé le jour même où s’est déclenchée la guerre sino-japonaise, il a sillonné pendant deux ans les routes de Chine du sud et de l’ouest dans des conditions très périlleuses, sous les bombes japonaises. Le courage dont il a fait preuve, lui a attiré l’amitié de TV Soong. Il a acquis une grande « face » auprès des Chinois, qui ne l’ont pas oublié.

Dans l’esprit de René Pleven, la mission confiée à Maux doit durer trois mois et prolonger celle de Georges-Picot. C’est « une reprise de contact avec lesmilieux chinois susceptibles de faire des commandes en France ou d’utiliser du personnel français ». Au retour du diplomate à Paris (début 1945), Maux et Georges-Picot travaillent de concert à établir un « Programme d’action de la France en Chine », base d’une future Mission.

Maux s’envole pour Chungking, le 9 mars 1945. C’est en vol qu’il apprend le coup de force japonais sur l’Indochine. Son voyage dure 14 jours. A Chungking, l’ambassadeur de France est le général Zinovi Pechkoff, le fils adoptif de Gorki, qui passe pour être l’homme le mieux renseigné de la capitale. Maux est surpris de constater à quel point, en six ans, le gouvernement nationaliste a perdu son soutien populaire. Cependant l’espoir va renaître avec la nomination (en mai 1945) de TV Soong à la présidence du Yuan exécutif (premier ministre). Soong est un banquier, formé à Harvard et à Columbia, qui a eu un grand rôle dans les débuts de la guerre sino-japonaise. La première démarche de Maux est donc de lui rendre visite, en compagnie de l’ambassadeur.Ils sont conviés à un petit-déjeuner de travail, avec le ministre des Affaires économiques (Wong Wen-hao), géologue de formation française.

La reconnaissance de T.V. Soong, ouvre à Maux les portes des milieux d’affaires et il va s’y plonger à plein temps. Il retrouve ses amis ingénieurs, et prend contact avec les milieux d’affaires.Tous ses interlocuteurs souhaitent développer leurs relations avec la France, surtout dans le but d’acheter du matériel. La Chine regorge d’ingénieurs de valeur qui ont tout inventé dans cette région peu développée : grâce à leurs prodiges d’imagination, la Chine libre a pu continuer à vivre. Maux réalise aussi que les Chinois ont oublié les contrats français, et que plusieurs pays européens ont déjà signé des Traités de commerce. Quant aux experts américains – qui sont plus de 2000 – ils ont accès à tous les secteurs de l’économie. Mais les Chinois assurent qu’ils ont aussi besoin de l’Europe, dont les méthodes sont mieux adaptées à leur mode de pensée. Devant tous ces contacts si favorables, Maux juge qu’il a assez d’éléments pour justifier la création d’une Mission. Le 18 mai, il écrit au ministère : « Il faut, à la France, couler sa pensée dans le moule des conditions locales, au lieu d’imposer une solution, ne cadrant ni avec la psychologie chinoise, ni avec sa structure sociale… »

oiseau

Trois mois se sont écoulés mais, avant de partir, Maux doit revoir TV Soong. Celui-ci est à San Francisco, pour signer la Charte des Nations Unies. En attendant son retour, il se rend à Chengtu, la capitale du Sichuan, pour constater les grands besoins hydrauliques de la région : il décide d’y installer le premier agent de la Mission. Puis il se rend à Kunming. Non loin de là part la route de Birmanie, qui a été réouverte en janvier 1945. C’est là aussi qu’arrive le chemin de fer du Yunnan, dont la partie chinoise a été nationalisée après la rupture des relations franco-chinoises, le 1° août 1943. Les références au constructeur ont été effacées, et 178 kms de rails enlevés. Kunming abrite une base aérienne américaine gigantesque, ainsi que les services secrets américains, anglais et français (la Mission 5, dirigée par Jean Sainteny). Maux se rend à l’hôpital où sont soignés les hommes de « la colonne Alessandri », qui ont échappé aux Japonais. Ils vivent dans une grande misère, et il décide de les aider. Avec l’aide de l’ambassade et de banquiers chinois, il met sur pied un prêt en dollars chinois, à verser immédiatement aux soldats. En échange, la France doit expédier en Chine, des produits pharmaceutiques et de l’indigo. Un trésorier-payeur général vient de France pour régler l’accord de 5 millions de francs. Ce sera le premier échange commercial franco-chinois.

Enfin, à l’invitation d’ingénieurs hydrauliciens formés par la France (Woo Tchen-Hoan et WK Liang), Maux se rend Changshow, sur le Yangtzé, à 100 km en aval de Chungking. Ils ont construit des usines et des barrages, agencés avec une grande ingéniosité. Il visite les bureaux de l’Américain Savage, à qui l’on doit l’idée audacieuse de barrer le Yangtzé, en amont d’Itchang. Les ingénieurs considèrent ce projet gigantesque comme « aventureux et ne cadrant pas avec la ligne de développement progressif » qu’ils souhaitent. Ils prévoient 7 usines hydroélectriques, dans des vallées adjacentes, et souhaitent l’aide de la France. Mais ce projet grandiose suscite l’enthousiasme des jeunes ingénieurs sortant de l’université…

A Chungking, l’ambassadeur Pechkoff, quitte son poste le 16 juillet 1945. Le 24 juillet, Maux revoit TV Soong Ils passent en revue les secteurs de coopération possibles, dont une action culturelle, à laquelle Soong tient beaucoup. Ce dernier confirme qu’il n’est plus question que le chemin de fer du Yunnan soit exploité par des étrangers et propose «un pool de deux compagnies nationales, exploitant chacune leur tronçon». Il réclame aussi des arrangements douaniers dans le port de Haïphong, par où transitait le commerce chinois.

Maux quitte Chungking, le 6 août 1945. Or le jour même, c’est Hiroshima … puis Nagasaki, la reddition des Japonais et la fin de la guerre en Asie. Maux est à Calcutta, en transit. Paris lui donne l’ordre de retourner à Chungking, où l’ambassadeur Pechkoff est lui aussi rappelé. Les deux hommes retrouvent la capitale, pour assister à la Fête nationale américaine, le 28 août. L’ambassadeur des USA, Patrick Hurley, présente deux Chinois en costumes bleus : Mao Tsé-tung et Zhou En-Lai. Hurley, souhaite réconcilier les deux parties, et il a convoyé lui-même les communistes depuis Yenan. Si Maux est jugé utile à Chungking, c’est qu’il a la confiance de TV Soong, et qu’il connaît parfaitement l’Indochine, ce qui sera précieux pour ses collègues de l’ambassade. En Chine, les Nationalistes récupèrent l’intégralité du pays et peuvent se réinstaller leur capitale, Nankin. Les projets de la Mission doivent donc être repensés à l’échelle de tout le territoire. En Indochine, en l’absence de troupes françaises, il a été décidé que la reddition des Japonais serait reçue : au sud du 16° parallèle par les Anglais, au nord par les Chinois. Pendant deux mois, Maux accompagne ses collègues dans les ministères en charge de l’occupation du Tonkin, pour protester contre les excès des troupes chinoises, en particulier la « piastre d’occupation ». Pechkoff le charge d’une liaison avec Thierry d’Argenlieu, à Chandernagor. Le 20 septembre, Maux accueille à Calcutta, le financier de l’ambassade, François Bloch-Lainé, ainsi que Cazanave-Nébout le premier agent qu’envoie Paris. Il l’installe donc à Chungking et regagne la France.

 Le rôle de la Mission

Elle se focalise d’abord sur trois dossiers. Le premier concerne le prolongement de la ligne civile d’Air France, de Saigon jusqu’à Shanghaï. En octobre 1946, le directeur d’Air France pour l’Extrême-Orient – Henri Tresh – vient négocier le contrat. Les discussions débouchent sur un accord provisoire, signé le 14 décembre 1946 : on établit les escales techniques, Hong-Kong et Bangkok. Gagnant les Américains de vitesse, les Français seront les premiers à finaliser un accord. L’inauguration de la ligne d’Air France a lieu le 17 janvier 1947, et la liaison se fera désormais deux fois par mois. Tous les Français de Shanghaï sont sur le terrain, pour voir briller les trois couleurs !

Le second dossier concerne les questions de chemins de fer. Feyeux, un polytechnicien, directeur à la SNCF, est détaché à la Mission pour 18 mois. Mis à la disposition du ministère des Communications, il est chargé d’études : exploitation de la voie ferrée Shanghaï-Nankin, construction d’ateliers à Tientsin, et construction de la liaison Chengtu-Chungking (contrat Chen-Yu). Le groupe UNI des banques envoie un émissaire, pour négocier ce dernier contrat. Les Chinois apprécieront tant Feyeux, qu’ils l’enverront à Pékin et à Tientsin, et lui feront une importante commande de rails et de locomotives.

Le troisième dossier concerne la modification du statut de la compagnie des chemins de fer du Yunnan, résultant de l’accord sino-indochinois du 28 février 1946. Le représentant de la compagnie (Fontaine) vient à Nankin en compagnie de l’ingénieur général des TP d’Indochine (Gassier), qui est chargé de délimiter la zone franche de Haïphong, inspectée par Maux. Les discussions avancent vite avec les Chinois, mais elles vont être gênées, puis suspendues, en raison de l’insurrection déclenchée par le Vietminh, le 19 décembre 1946.

Indépendamment de ces trois dossiers, le rôle de la Mission est multiple.

Dans le domaine commercial, elle fait office de « trade commissionner ». Pour l’Indochine, elle vend de grosses quantités de riz à la Chine, les ventes se faisant désormais à Shanghaï. La Mission facilite la vente de buffles et de ciment en Chine du sud et aux Philippines, ainsi que du charbon de Hongay et de l’anthracite de Dong Trieu. Pour la France, la Mission achète en Mandchourie 30 000 tonnes de soja, et cet achat va conditionner toutes les rations de matières grasses en France. C’est Brediam qui négocie le contrat, en liaison avec un correspondant russe, dépendant du consulat français de Moukden. Les soyeux lyonnais, achètent de grosses quantité de soie jaune d’or de Canton. Des parfumeurs recherchent du musc, indispensable à leur industrie. La Mission fournit le Maroc en thé vert, une préparation spéciale des meilleurs jardins de thé (Chung Mee ou Gunpower). Les transactions s’effectuent d’abord à Shanghaï, puis se déplaceront vers Hong-Kong. Dans les mois à venir, ce seront des bateaux entiers de thé – de plus de 1 500 tonnes – qui gagneront Casablanca, avec transbordement à Marseille. La Mission réceptionne aussi l’antimoine, venant de Kunming. Elle vend divers produits français : cognac, bière, moteurs, pneus, produits chimiques, colorants, et même triporteurs…

Dans le domaine juridique, la Mission joue le rôle de conseil, auprès des sociétés françaises. Elle les aide à établir leurs dossiers, à définir leur régime fiscal, modifié par l’abolition des concessions. Elle soutient leurs démarches pour récupérer des usines, ou régler les litiges concernant des Français porteurs d’emprunts chinois. Elle finance aussi diverses activités de l’Université de l’Aurore.

La Mission participe aussi à l’effort de modernisation de la Chine, dans le domaine industriel. Une soixantaine d’affaires sont proposées au SEPEO. En raison de la situation en Chine, seules vont aboutir les affaires proposées par Cazanave-Nébout, qui a un an d’avance sur ses collègues. On peut citer : un accord entre le Syndicat des Salines (Tse Lu Tsing) et la société de Géophysique. Un accord entre le Syndicat des industries sucrières (Neijiang) et la société Fives-Lille. L’achat, par la corporation de la Sériculture du Sichuan, de trois usines. Divers projets sont étudiés : trolleybus de Chungking, funiculaire de Kuling, usine hydroélectrique à Kunming, pièces détachées de Renault, ponts Eiffel.

Henri Maux représente la France à la conférence ECAFE (Economic Commission for Asia and the Far East) de Bangkok en 1949.

Henri Maux représente la France à la conférence ECAFE (Economic Commission for Asia and the Far East) de Bangkok en 1949.

En six mois, la Mission ne cesse d’affirmer sa réussite. La France a retrouvé un volume d’affaires supérieur à celui qui existait avant-guerre. Pourtant, début 1947, des inquiétudes naissent. L’armée communiste, entrée en Mandchouri le 15 avril 1946, ne cesse de gagner du terrain. Les Américains apportent aux Nationalistes un soutien logistique déterminant mais, sans eux, cette province serait déjà perdue. Dans le pays, les prix montent d’une façon vertigineuse, ils ont été multipliés par dix en un an ! Les mesures prises par le gouvernement n’ont plus d’effet, et on en vient à redouter des émeutes de la faim.

En Indochine, le processus d’exportation du riz s’est interrompu, en raison des troubles. TV Soong demande à Maux d’aller le relancer. Le chef de Mission se rend à Saigon le 25 février, et assiste au départ de l’amiral d’Argenlieu. Ayant appris que des stocks clandestins de riz, existaient chez les grossistes, il parvient à les mobiliser, avec l’accord des services économiques. On convient de la vente de 33 000 tonnes de riz à la Chine. En contrepartie, les grossistes ont l’autorisation d’expédier du riz dans leurs provinces d’origine (Fukien et Kwantung), frappées par la famine. La Mission est chargée d’ouvrir à Hong-Kong, un bureau de recrutement pour trouver de la main d’œuvre pour les plantations et les Charbonnages…

Alors qu’à son retour en Chine (5 mars 1947), Maux se réjouissait d’annoncer lui-même à TV Soong, l’arrivée du riz indochinois, il trouve la situation bouleversée. Chiang Kai-shek a limogé le président du Yuan exécutif, se servant de lui comme bouc émissaire, pour enrayer la crise économique. Par la suite, il nommera son beau-frère gouverneur du Kwangtung et son représentant en Chine du sud. Maux le rencontrera souvent, pour discuter de questions économiques : importation de riz, projets hydrauliques, tels que la construction du barrage de Wong Kiang, à laquelle la France pourrait participer. Il refusera pourtant d’impliquer la Mission dans une vente d’armes. Lorsque le chef de Mission part pour la France, début avril 1947, il laisse à son équipe la consigne de livrer du riz indochinois à l’orphelinat de Ton Ste Wei, tenu par des religieuses françaises, dans plus grand dénuement ! Sur sa route de retour, Maux s’arrête à Saigon, pour rencontrer le nouveau Haut-commissaire, Emile Bollaert.

 

La création de la mission

Maux arrive à Paris le 15 octobre 1945, après sept mois d’absence. Le 7 novembre 1945, une réunion – considérée comme l’acte fondateur de la Mission – a lieu dans le bureau du directeur des Affaires économiques du Quai d’Orsay, Hervé Alphand.

Maux, invité à exposer ses projets, va insister sur quelques points. Dans un pays à l’économie très centralisée, la Mission doit dépendre d’un organisme officiel, comme l’Ambassade. En s’inspirant des missions anglo-saxonnes, plus efficaces que nos services commerciaux traditionnels, il propose que la Mission soit composée d’experts, installés dans les provinces.

Ils évalueraient les besoins locaux et leurs études seraient envoyées à la direction des services économiques du Quai d’Orsay. Les banquiers et industriels intéressés seraient regroupés en un « Syndicat d’études », avec le Groupe UNI des banques (Lazare, Indochine, Franco-chinoise, Paris-Pays-Bas). L’Etat y serait représenté, pour veiller aux intérêts de l’Indochine, et aux nécessités de reconstruction française.

A l’issue d’une chaude discussion, tous donnent leur accord : ils jugent que la France doit faire acte de présence, pour prouver qu’elle est redevenue une grande puissance. Et ils s’entendent sur le nom de Henri Maux, pour diriger la Mission. Celui-ci peut alors s’occuper des six ingénieurs chinois, qu’il a fait inviter pour deux mois en France, afin de les former aux problèmes de reconstruction. Et hâter l’envoi d’indigo et de produits pharmaceutiques, dûs aux banquiers de Chungking. Tout est réglé fin 1945.

Malheureusement, au bout de cinq mois, le décret de création de la Mission n’a toujours pas vu le jour ! D’interminables notes s’échangent entre les ministères. Maux proteste : « S’il apparaît aussi difficile de faire aboutir les affaires, alors le chef de Mission est présent à Paris et y consacre une activité opiniâtre, que sera-ce lorsqu’il sera en Chine, réduit aux télégrammes ? …Depuis octobre 1944, on fait miroiter aux yeux du gouvernement chinois la reprise d’une collaboration économique franco-chinoise. Ce mirage ne suffira pas à concurrencer l’appui massif et réaliste des Anglo-saxons »

Le 13 mai 1946, paraît enfin le décret créant la Mission économique française d’Extrême-Orient. Il est signé de Félix Gouin, chef du gouvernement du GPRF; Bidault, ministre des Affaires étrangères ; Philip, ministre de l’Economie nationale et des Finances.

Le 9 juin, un arrêté nomme Henri Maux chef de Mission. Le Syndicat d’études (SEPEO), est chargé de trouver les sociétés françaises intéressées par les projets proposés. Car la mission « réseau de prospection et de contacts » doit s’effacer devant l’action de groupes privés.

Le budget de la Mission est fixé à neuf millions de francs. Le chef de Mission doit choisir, avec l’ambassadeur, les villes de résidence de ses collaborateurs, qui seront cinq – soit des fonctionnaires, soit des experts – ces derniers signant un contrat de 18 mois, renouvelable.

Le ministère de l’Economie tient à préciser que la Mission n’a qu’un caractère temporaire et doit disparaître lorsque sera nommé un conseiller commercial traditionnel.

Quatre candidats sont sélectionnés. Le cinquième étant déjà à Chungking : Cazanave-Nébout. Ce sont deux ingénieurs des Arts et Métiers, Jacques Latapy et Philippe Lenouvel, ce dernier ayant complété sa formation à HEC, après des années de captivité. Est choisi aussi Jean-Victor Brediam, qui connaît bien Shanghaï, siège de la Mission. Il sera secondé par Jean Grosclaude, docteur en droit et diplômé de chinois. Leur est adjoint l’ingénieur hydraulicien WK Liang, ancien de l’université de l’Aurore, connu à Chungking.

Le 13 juin 1946, Maux reçoit son ordre de mission, qui se termine ainsi : . « Vous aurez à collaborer étroitement avec l’Ambassade, pour la défense des intérêts de la France en Chine… Vous vous efforcerez de persuader nos compatriotes, que cette défense ne doit pas être accrochée aux contrats d’hier, mais résolument tournée vers l’avenir.. »

 

Signature des Traités de commerce

 

Maux s’envole pour l’Asie, le 16 juin 1946. Il voyage avec Latapy et Lenouvel, qui le quittent à Calcutta. Lenouvel va rejoindre Cazanave-Nébout, qui va jouer le rôle de mentor. Latapy part prospecter l’Inde, pays où la Mission pourrait s’implanter. Maux poursuit vers Saigon puis Hong-Kong, Shanghaï et Nankin, afin d’organiser la Mission.

La priorité est de signer les Traités de commerce. D’abord avec l’Indochine, territoire riche et peuplé, pierre angulaire de la position de la France en Asie. Le chef de Mission est accrédité auprès du Haut-commissaire et des services du plan. Il établit les bases du traité et créée une antenne de la Mission, dirigée par Jean Bruley, un polytechnicien du Commerce extérieur. Il reviendra trois mois plus tard, pour signer le Traité de commerce, sous l’égide de l’amiral d’Argenlieu.

Le traité, signé le 13 septembre 1946, confie à la Mission la représentation économique de l’Indochine sur les marchés extérieurs. Lors de ces deux séjours, le chef de Mission apporte d’importantes commandes de riz de la part de la Chine : 30 000 puis 14 100 tonnes. Il traite avec les grossistes chinois de Cholon. Mais, à la demande du « Comité des Céréales » de Saigon, les achats de riz s’effectueront désormais à Shanghaï, par des maisons de commerce françaises, réunies en « pool ». Les parties s’entendant sur une augmentation du prix du riz (qui passe de 162 à 189 dollars US la tonne) la différence payera les dépenses de la Mission pendant 2 ans. Maux va aussi inspecter une section du port de Haïphong, en vue d’organiser une zone franche chinoise.

La signature du Traité de commerce avec la Chine, va être une opération de longue haleine ! Le 2 juillet 1946, le chef de Mission a gagné Hong-Kong puis Shanghaï, où il a rendu visite à TV Soong, qui a dans cette ville son logement personnel. Puis il a poursuivi par Nankin, la capitale nationaliste.

Le nouvel ambassadeur est Jacques Meyrier, qui s’intéresse beaucoup aux questions économiques. Il se dit prêt à aider la Mission à s’installer à Shanghaï, si elle lui réserve une chambre de passage.

Maux fait ses visites protocolaires, les prises de contact s’effectuant directement au sommet de l’Etat. Désormais, la priorité est d’obtenir un accord avec le Central Trust, sous forme d’un accord de compensation. Cet accord étant la clef de tout le système d’échanges, les négociations sont confiées à l’inspecteur des Finances Pierre Ledoux, qui a remplacé Bloch-Lainé.

Hélas, le ministère des Finances français refuse l’accord négocié. Il ne veut pas que les transactions s’effectuent en dollars US, mais en francs. La Chine exige d’utiliser ses propres dollars, souvent dévalués. Les discussions vont durer des mois ! Le ministère français va finir par confier le dossier à l’un de ses meilleurs connaisseurs de l’Asie, François Bloch-Lainé, qui a acquis une grande influence, au cabinet du ministre des Finances, Robert Schuman, Or, il en vient aux mêmes conclusions que le chef de Mission : il faut établir le compte chinois en dollars US, et le compte français en francs, convertibles en dollars US, chaque fois que les Chinois le réclameront.

Maux va recevoir encore l’aide de TV Soong. Le 24 février 1947, est mis sur pied un « arrangement tacite », portant sur un montant d’échanges annuels de 5 millions de dollars US. Ce premier accord est déjà largement utilisé dans les faits, lorsqu’il est finalement signé, 18 mois plus tard, le 22 juillet 1948.

 

Les hommes de la Mission

Pendant l’été 1946, l’équipe se met en place. Shanghaï est le siège de la Mission. Ses bureaux sont installés dans le building des Messageries Maritimes, sur le Bund.

Brediam est le pilier de la Mission et se voit confier la permanence et la trésorerie. Il s’intalle dans une maison appartenant au consulat, où une chambre est réservée à l’ambassadeur, une autre au chef de Mission. Brediam est secondé par Grosclaude, le juriste, qui s’occupe des dossiers des sociétés françaises. Et par l’hydraulicien Liang, qui sillonne les provinces voisines et diffuse les ouvrages du SEPEO.

On recrute Joseph Ma comme traducteur, et son neveu François Ma, comme secrétaire. Début 1948, viendront renforcer l’équipe : Michel Dupont, un administrateur de l’Economie nationale, chargé des questions budgétaires ; et une secrétaire de direction, Mlle de Laberbis, détachée de l’ambassade de Nankin.

Dans les provinces de l’ouest : Cazanave-Nebout quitte Chungking, vidée de ses officiels et y laisse son adjoint Tsao. Il s’installe à Chengtu, la capitale du Sichuan, avec André Yuen (deux ingénieurs retour-de-France). Il prospecte avec un tel dynamisme la province, que le gouverneur le nomme son conseiller pour toutes les questions industrielles.

Dans les provinces du sud : Lenouvel s’installe à Hong-Kong, la colonie anglaise étant le centre commercial de toute la région. Ayant la responsabilité du Kwantung, il se rend une semaine par mois à Canton, où il est hébergé par le consul Viaud. Il fait le lien entre les services de l’Indochine et le siège de la Mission. Il circulera beaucoup (Siam, Singapour, villes du sud.de la Chine) et prendra d’innombrables contacts pour développer l’industrie française. Pour le remplacer pendant ses congés, le Haut-commissaire enverra l’un de ses collaborateurs, Bernard Stroh, pendant trois mois.

Enfin Latapy prospecte l’Inde, Formose et les provinces limitrophes de l’Indochine, comme le Yunnan.

Le chef de Mission fait le va-et-vient entre Shanghaï et Nankin. Le travail d’approche s’effectue dans la capitale économique, la signature des contrats et les visites officielles se font dans la capitale politique. Maux se réserve les contacts avec les ministres car, en Chine, les relations personnelles sont primordiales. Il est impossible de se loger à Nankin. Pour finir, le chef de Mission va être hébergé par son ami, le conseiller d’ambassade, Jacques Roux.

Au cours de l’été 1946, le chef de Mission est reçu à la Chambre de commerce française de Shanghaï. Pendant trois heures, il expose les raisons qui ont présidé à la création de la Mission et la présente comme « une campagne qu’il faut gagner ! ».

Il évoque la lettre circulaire, envoyée par l’ambassadeur à tous les consuls de France, pour récolter des informations économiques : « Au risque de mécontenter une partie de mes auditeurs, conclut-il, permettez-moi de vous dire qu’il sera peut-être difficile aux anciens, de travailler dans la Chine nouvelle… Après toutes ces années de guerre, l’état d’esprit, les mœurs, les conditions politiques ont changé. Ceux qui ne cherchent qu’à profiter des privilèges dont ils jouissaient autrefois, s’exposeraient à de graves déconvenues ! »

France : discussion du budget 1947-1948

Maux arrive à Paris le 20 avril 1947, après dix mois d’absence. Au ministère des Affaires étrangères, il est accueilli avec chaleur, la Mission étant considérée comme un succès. Mais il constate l’inquiétude éveillée par la situation en Mandchourie. Sans nier la réalité, Maux soutient que, jusqu’ici, le bilan de la Mission a été très positif : le riz a rapporté 20 millions de francs, le soja 48 millions, et le thé 80 millions. Au ministère des Finances, les discussions vont durer pendant tout le mois de juin. Le chef de Mission reçoit l’appui d’un spécialiste de l’Asie, le colonel Austin, qui juge raisonnables ses demandes. Mais il faudra trois mois, pour avoir une confirmation écrite du montant du budget, qui sera de 24 millions de francs. Un succès pour la Mission, qui avait dû se contenter de 9 millions en 1946. Ayant fait remarquer qu’une partie de ses adjoints devait partir en congé, il est décidé d’envoyer en renfort un administrateur de l’Economie Nationale, Michel Dupont, qui est volontaire.

En juillet 1947, se situe une parenthèse qui aura de lourdes conséquences sur le travail du chef de Mission. Le ministère l’envoie à New-York, à la demande de Mendès-France (délégué permanent de la France au Conseil Economique et Social) qui a besoin, à ses côtés, d’un expert des questions asiatiques. L’ONU se préoccupe de l’état de délabrement des pays d’Asie, ravagés par la guerre. Il créée l’ECAFE (Economic Commission for Asia and Far East), filiale asiatique du Conseil Economiquel. Sa prochaine session est fixée à novembre 1947, aux Philippines. En tant que chef de la Mission économique, Maux prendra la tête de la délégation française. Il ne sait pas qu’il met le doigt dans un engrenage, qui va modifier sa destinée. Représentant la France dans un organisme international, qui tient des sessions deux fois par an, il se trouvera désormais accablé de travail et ne cessera plus de voyager.

Lorsque le chef de Mission regagne la Chine, en octobre 1947, après six mois d’absence, il sillonne la Chine, pour renouer les liens distendus avec ses adjoints. Il constate que tous se sont bien adaptés. Et pour finir l’année 1947, et les remercier de leur fidélité, Maux les invite à un réveillon au Cercle français de Shanghaï. Mais l’équipe, si soudée, s’apprête déjà à se disloquer, certains contrats s’achevant au printemps. A partir de 1948, le chef de Mission est amené à séjourner plus souvent à Hong-Kong, où il a installé sa famille.

D’ailleurs, en raison de l’évolution de la situation en Chine continentale, il finira par y établir son quartier général. Son bureau est hébergé dans les locaux du consulat de France, dirigé par Robert Jobez. Dans une unique pièce, travaillent Philippe Lenouvel, puis Bernard Stroh, assistés de la secrétaire Jeanne Saint-Mleux. L’un des problèmes de Hong-Kong, est la complexité des échanges financiers. Alors que partout ailleurs, les marchés s’effectuent en dollars US, ou en francs, dans la colonie anglaise, il existe deux monnaies suplémentaires : la livre sterling et le dollar de Hong-Kong. Même les maisons de commerce ne s’y retrouvent pas ! Surchargé de travail et perpétuellement en déplacement, Maux se repose beaucoup sur ses adjoints.

A la mi-1948, le gouvernement nationaliste, est en pleine crise. Les dernières opérations, dans le nord de la Chine, ont démontré la faiblesse des armées nationalistes, très peu combatives. Le colonel Guillermaz, l’attaché militaire de l’ambassade, définit la situation : « La Chine nationaliste est semblable à une structure en apparence intacte, mais vermoulue et susceptible de s’effondrer brusquement. Il faut savoir que les troupes communistes se battent très bien, menées par un encadrement politique rigoureux. Je pense que le gouvernement de Chiang Kai-shek peut durer six mois, mais je ne garantis pas sa survie au-delà d’un an ! ». C’est donc un échec militaire: le 30 octobre, toute la Mandchourie tombe entre les mains des Communistes. La bataille décisive de Hsüchow, en novembre, fera sauter le dernier verrou avant Nankin. Pourtant, comme toujours en Chine, il faut affecter les prévisions d’un coefficient de durée, pour tenir compte de l’immensité chinoise. C’est aussi un échec économique : le gouvernement ne peut plus enrayer l’inflation, malgré la création d’un « gold unit » (équivalent à un quart du dollar US). Le ministre des Finances part chercher du secours à Washington, suivi par Mme Chiang Kai-shek. Le généralissime renvoie le président du Yuan exécutif, tout en le gardant en poste, faute de lui trouver un successeur. A Shanghaï, il nomme l’un de ses fils, Chiang Chi-kuo, « commissaire spécial » avec mission de supprimer le marché noir. Or ce dernier agit avec une telle brutalité auprès des milieux d’affaires, que son intervention consacre la rupture définitive entre les milieux économiques et le Guomintang : c’est la ruine d’une classe sociale qui a été le pilier du parti.

 

 Déclin de la Mission économique

L’année 1949 va être une succession d’épreuves.

Brediam, tombé gravement malade depuis six mois, ne peut plus tenir son poste. Il sera rapatrié en France, le 19 janvier 1949, pour y mourir peu après.

Les deux agents qui restent à Shanghaï (Dupont et Liang) sont peu expérimentés, et le ministère refuse d’envoyer un remplaçant. Les solutions trouvées seront très acrobatiques, et reposeront entièrement sur le chef de Mission qui va osciller entre les différentes implantations de la Mission.

De plus, Paris donne l’ordre de licencier tous les agents. Maux finit par écrire à Chauvel, le secrétaire général du Quai d’Orsay : « N’oubliez pas les enfants perdus de Chine ! ». Toutes les affaires commerciales se mettent au point mort, et les sociétés privées stoppent peu à peu leurs transactions.

S’arrêtent les envois de matériel pour la compagnie des tramways de Shanghaï, ainsi que les négociations pour créer une société aéronautique franco-chinoise. Les seuls courants commerciaux, restent les exportations de soja et de soie. Pour le thé, Dupont, s’inspirant des méthodes de Brediam, parvient encore à expédier 580 tonnes de thé vert au Maroc. Cette vente vide les réserves en thé de Hong-Kong et du sud de la Chine. Mais c’est une excellente affaire, car il suffit d’une différence de 2 cents par kilo, pour couvrir le budget de la Mission pendant un an.

Le 21 janvier 1949, Chiang Kai-shek décide de renoncer à la magistrature suprême et de confier son intérim au vice-président de la République, le maréchal Li Tsung-jen. Il se retire dans sa ville natale, pour prendre soin de la tombe de ses ancêtres. Mais, resté dans le sud du pays pendant onze mois, il va garder la haute main sur le parti et l’armée.

A Nankin, Maux assiste, le 23 janvier 1949, à l’intronisation du nouveau chef de l’Etat, le maréchal Li Tsung-jen, en présence de tous les diplomates. Le nouveau président est un libéral, héros de la lutte contre le Japon. Il va tenter de négocier une « paix des braves », et proposer aux Communistes de faire partie d’un gouvernement de coalition.

Ceux-ci acceptent d’entamer des pourparlers, qui vont se dérouler pendant trois mois, toutes opérations militaires suspendues. Mais, fin avril, Li Tsung-jen refuse de signer le protocole et quitte la capitale. Tous les pays (à l’exception de la Russie) vont laisser leurs ambassadeurs à Nankin. Jacques Roux est le seul Français à partir pour Canton, pour créer une antenne de l’ambassade.

Le 26 janvier, Maux quitte Nankin : il ne reverra plus la capitale. On apprend la prise de Tientsin, puis de Pékin, et le 31 janvier 1949, l’ensemble de la Chine du nord est devenue communiste.

Graves décisions à Paris

Le chef de Mission est attendu à Paris, le 24 février 1949. Son séjour parisien va durer un mois, et constituer un ultime combat pour la survie de la Mission.

Le lendemain de son arrivée, devant une douzaine de diplomates de la section Asie des Affaires étrangères (dont Alphand, Chauvel et Parodi), le chef de Mission est invité à donner un aperçu de la situation en Chine.

Il conclut ainsi  : « Si les Communistes s’installent dans l’ensemble du pays, il est évident que toute la coopération culturelle disparaîtra…Mais ne serait-il pas alors judicieux, d’avoir conservé des liens économiques avec le nouveau régime? Vous savez comme la machine administrative est lente en Chine. Il a fallu deux ans pour signer l’accord de compensation entre la Mission et le Central Trust of China. Est-ce le moment de faire disparaître l’un des participants ? La Mission peut garder le contact, quitte à changer les responsables actuels trop liés aux Nationalistes. Bien sûr, je m’effacerai …»

Maux trouve un appui auprès des diplomates. Ceux-ci jugent que, pour la première fois depuis douze ans, la Chine va connaître une certaine unité, sous un régime nouveau. Ils veulent préserver les chances de la France, dont les maisons de commerce sont prêtes à jouer le jeu… comme l’Angleterre qui, elle, poursuit ses échanges économiques, via la Corée du nord et Hong-Kong. Poussé par le SEPEO, le ministère des Affaires étrangères a imaginé de créer un « Bureau d’Equipement industriel », qui se chargerait des publications et des activités techniques. Ce bureau emploirait les ingénieurs chinois ainsi que Cazanave-Nébout, que Maux se refuse à « immoler sur l’autel des restrictions budgéraires »

Mais les fonctionnaires des Finances et de l’Economie nationale ne sont pas du même avis : ils veulent supprimer la Mission et licencier tous ses agents. En réalité le ministère des Finances souhaite rétablir le système des attachés commerciaux traditionnels, dépendant de ses propres services.

Son opposition vient du fait que la Mission est affiliée à deux ministères. Dans le but de remettre de l’ordre, les Finances veulent pousser au-delà des frontières la spécialisation des ministères : l’expansion économique à l’étranger doit dépendre de l’Economie nationale, les questions politiques demeurer du ressort des Affaires étrangères. La Mission en Chine cristallise cette controverse.

On arrive à un compromis. La décision finale est prise, début mars 1949, au ministère des Finances. Il est convenu que Maux restera « représentant permanent de la France à l’ECAFE », poste diplomatique qui dépend des Affaires étrangères, avec un bureau à Shanghaï. Il sera aussi « chargé de Mission », avec autorité sur les attachés commerciaux de toute la région. En conclusion, on n’a pas pu éviter la suppression de la Mission, qui cessera d’exister le 1° juin. Et la nouvelle organisation semble bien compliquée ! Mais elle reste jouable, si elle est assurée de permanence.

Le 7 avril 1949, le chef de Mission retrouve la Chine et reprend ses déplacements, mais ses absences sont devenues très courtes, car il lui est impossible d’aller à Shanghaï ou à Nankin.

En Indochine, depuis le 20 octobre 1948, l’administrateur des Colonies Léon Pignon a remplacé Bollaert. C’est un adepte de la voie Nationaliste, incarnée par l’empereur Bao Daï. Ce dernier a enfin signé avec la France (8 mars 1949) « les Accords de l’Elysée ». Est acceptée l’indépendance du Vietnam, avec des barrières juridiques. L’empereur devient « chef de l’Etat vietnamien », et rentre en Indochine. Il arrive à Dalat, le 27 avril 1949 et un grand espoir de paix se lève dans le territoire. Pour Maux, c’est une excellente nouvelle, car il va pouvoir présenter la candidature du gouvernement de Bao Daï, à l’ECAFE. Il obtiendra d’ailleurs un beau succès diplomatique, en octobre 1949, à la 5° session de Singapour, en évinçant le Vietminh. Personne n’aurait cru cette victoire possible !

Au printemps 1949, l’Indochine confie encore trois affaires importantes à la Mission : l’achat, par le gouverneur de Haïnan de 500 tonnes de ciment et 12 000 tonnes de riz. Puis une vente de tungstène, proposée par le maréchal Li Tsung-jen, chef de l’Etat, et chef du Triumvirat qui régit le Kwangsi. Il propose de vendre un lot de tungstène, caché au Kwangsi lors de l’invasion japonaise. Jusqu’ici la Chine ne vendait ce métal qu’avec parcimonie, mais le maréchal dispose des leviers de commande. Ce serait une affaire intéressante pour la France, mais le Groupement français du tungstène, tarde trop à réagir !

Enfin, la dernière affaire consiste à arbitrer un conflit entre les compagnies aériennes reliant le Tonkin et le Yunnan. A cette occasion, le directeur d’une compagnie privée, demande au chef de Mission comment nouer des liens avec la Chine communiste. Il apprend ainsi que la banque de l’Indochine de Tientsin reste le seul point de Chine, encore relié par la poste et le téléphone.

Lorsqu’il se rend à Canton, Maux expédie des piles de télégrammes, le système des transmissions de l’ambassade étant plus performant que celui du consulat de Hong-Kong. Il rencontre à plusieurs reprises TV Soong, jusqu’à ce que ce dernier lui apprenne qu’il veut partir pour la France, pour des raisons de santé. Il souhaite des informations sur les villes d’eaux françaises, et demande à la France d’assurer sa sécurité, car il craint un attentat ! En son absence, la résistance du Kwangtung est confiée au maréchal Li Tsun-jen. Le 21 avril 1949, Nankin devient communiste. Tout s’est passé dans le calme, les troupes gouvernementales ayant disparu. Puis le 23 mai, les troupes communistes entrent à Shanghaï, sans grande résistance. En deux ans, la capitale économique deviendra une ville morte…

La famille du chef de Mission quitte Hong-Kong sur le Champollion, le 28 juillet 1949. Maux l’accompagne jusqu’à Singapour. Il y rencontre Austin, et c’est ainsi qu’il apprend, qu’à Paris, la nouvelle organisation de la Mission a été jugée irréalisable. Son existence a donc été prolongée jusqu’au 1° août, puis jusqu’au 31 décembre. Cette décision pose un problème financier, et Austin obtient un prêt de la banque de l’Indochine. Mais, les promesses ne seront pas tenues, les crédits n’arriveront pas et, en septembre 1949, la situation financière de la Mission deviendra intenable ! L’issue aura lieu en octobre, lorsque les crédits seront enfin débloqués. Sera alors désigné un conseiller commercial pour la Chine, Robert Douteau, avec résidence à Hong-Kong. Il arrivera début 1950 et remplacera Bazin, un fonctionnaire de l’Indochine, qui avait fait l’intérim.

Contacts avec les Communistes

La dernière mission que se donne Maux, avant de quitter la Chine, est de nouer un contact avec les Communistes, avec l’accord du ministère. En juin 1949, il rencontre, à Hong-Kong, Fei Yi Min, le directeur d’un journal de Shanghaï (le Dagong Bao), pro-nationaliste, qui détient tous les records de tirage. Fei a servi d’intermédiaire pour la banque de l’Indochine, et son frère dirige une société (Xing Hua Trading Company), avec laquelle la Mission a traité d’importantes affaires de soja et de thé. Les deux frères sont d’anciens élèves de l’Aurore. Comme Fei doit partir pour Shanghaï, il demande une liste de produits français. Maux rédige un document susceptible d’intéresser les autorités communistes, en insistant sur l’achat de thé vert, en Chine du nord, à destination du Maroc. Car, depuis la chute de Shanghaï et l’établissement du blocus maritime, la Mission a vu se tarir la source des achats de thé. Les agents de Hong-Kong, sont désormais chargés de se procurer du thé vert sur les marchés de Hong-Kong et de Formose. Le 15 juin, une dépêche de l’AFP annonce que le texte du Traité de commerce franco-chinois est en cours d’examen par les autorités communistes. Cette annonce est reprise par Radio-Vietminh. L’émission affirme que la France a besoin de thé vert pour « maintenir la paix au Maroc et en Tunisie, où la révolte gronde ».

Début septembre 1949, Fei Yi Min revient de son voyage. Désormais, son journal soutient le régime communiste. A Shanghaï, il a mené une active propagande en faveur des produits français mais, pour l’instant, le blocus maritime interdit tout échange. Il s’est ensuite rendu à Pékin, devenue capitale, et a rencontré Zhou En Laï, le ministre des Affaires étrangères, qui s’est montré intéressé par le projet d’achat de soja. Les associés de Fei disposent de deux navires faisant la navette entre Hong-Kong et les villes du nord de la Chine. Maux leur présente des maisons de commerce françaises intéressées. Il reste à mettre au point un accord de financement entre Chinois et Français, en utilisant le Traité de commerce. Le soja arriverait à Hong-Kong et serait échangé contre des produits métallurgiques…Mais le problème vient du GNAPO (Groupement des oléagineux français) qui préfère acheter ses produits en Amérique du sud. Or les oléagineux sont l’un des seuls produits dont les autorités nordistes peuvent disposer. Le chef de Mission pense que si la France ouvrait des négociations avec les Communistes, les relations entre les deux pays s’en ressentiraient. Mais, il n’a pas de liberté de manœuvre, car soja et tungstène dépendent de Groupements para-étatiques. Et il doit encore s’assurer que les marchandises recherchées par les Chinois, n’entrent pas dans la « liste noire des produits stratégiques », liste arrêtée entre USA et Grande-Bretagne. A cet accord secret (COCOM) la France, la Belgique et la Hollande sont sur le point d’adhérer…

Le 14 juillet, Maux reçoit de France une réponse : « Aucun accord n’a été conclu jusqu’à présent, entre les puissances occidentales, pour déterminer une politique économique à l’égard des autorités communistes. Bornez-vous à maintenir des contacts officieux et évitez les conversations directes… C’est le thé vert qui nous intéresse le plus, et non le soja. »

Le 3 septembre, Maux envoie à Paris une note de son adjoint Bazin, qui se plaint de ne pas disposer, à Hong-Kong, de documentation en anglais, sur les fabrications françaises. Il est souvent contacté par des hommes d’affaires chinois – des agents du régime communiste – et il voudrait amorcer le dialogue. Maux insiste auprès du SEPEO, pour qu’il examine cette demande. Il écrit : « Nous avons en Chine une longue tradition, des institutions culturelles puissantes, des maisons de commerce bien implantées. Dès lors que nos ambitions se bornent à des échanges loyaux, il serait fâcheux de jeter prématurément l’éponge…».

A Pékin, le 1° octobre, une ère nouvelle commence. En présence d’une foule immense, Mao Tsé-tung proclame la République populaire de Chine. Maux accueille à Hong-Kong, le 11 octobre, l’ambassadeur Meyrier et son épouse qui débarquent du Maréchal Joffre,en provenance de Shanghaï. Arrive aussi le conseiller Jacques Roux qui a quitté Canton, l’armée de Libération n’étant plus qu’à qu’à 60 kms de la ville. Tous savent que la Mission en Chine est condamnée. Mais ils apprennent aussi que le ministère parle d’envoyer une Mission économique en Inde, à la demande de l’ambassadeur, dont le conseiller commercial n’est autre que Latapy, l’un des premiers adjoints de Maux !

 

 Fin de la Mission Economique française d’Extrême-Orient

A la mi-décembre 1949, un cocktail d’adieux est organisé par Roux, à Hong-Kong, en l’honneur du chef de Mission, qui fait ses adieux à la Chine. Il quitte la colonie anglaise, le 12 décembre. Deux jours plus tôt, Chiang Kai-shek a pris la route définitive de l’exil, pour gagner son refuge de Formose (Taïwan), où son installation a été préparée de longue date, par ses hommes de confiance. Le régime de Chiang Kai-shek survivra à sa mort, en 1975.

Que vont devenir les derniers agents de la Mission ? Cazanave-Nébout, ne parlant pas anglais, ne peut pas être utile à Hong-Kong. En novembre 1949, il reçoit l’ordre de rentrer en France et quitte Chengtu. Parvenu à Chungking, il ne trouve aucun avion, la compagnie nationaliste (la CNAC) étant passée du côté communiste, et ayant interrompu ses vols le jour même. Il finira par gagner Hong-Kong, pour être rapatrié par bateau. Ses adjoints, Yuen et Tsao, sont licenciés, avec des indemnités.

Reste Liang, pour qui Maux a beaucoup d’amitié. En lui notifiant son licenciement, il lui demande de garder le contact, dans le cas où il souhaiterait venir en France. L’équipe de Shanghaï – Dupont, Mlle de Laberbis et les Ma père et neveu – restera quelques mois à son poste. Elle sera prise en charge par le consulat jusqu’à ce que Dupont quitte la Chine, fin 1950, via Tientsin, à bord d’un bateau de commerce..

Maux arrive en France le 18 décembre 1949. Dès le lendemain, à Paris, il participe à l’Assemblée générale du SEPEO, accueilli par le président François. Il propose de retrouver un peu plus tard, ceux qui s’intéressent à la Chine. Cette réunion de la dernière heure, lui mettra du baume au cœur, lui démontrant comme son travail en Asie a été apprécié.

Le 31 décembre, la Mission économique d’Extrême-Orient cesse d’exister. Le ministre de la France d’Outre-Mer nomme Maux Ingénieur général de 2° classe des Travaux publics. A cette occasion, il reçoit une lettre du ministre des Finances, Robert Buron : « Je vous exprime mes félicitations les plus vives, pour les qualités que vous avez déployées à la tête de la Mission et les résultats que vous avez obtenus en dépit de circonstances extrêmement défavorables »

Le 18 janvier 1950, à Moscou, Mao Tsé Tung reconnaît le gouvernement de Hô Chi Minh. L’avenir devient lourd de menaces pour l’Indochine. La France ne peut plus reconnaître le régime de Mao Tsé tung. Il faudra attendre la décision du général de Gaulle (1964) pour que les deux pays renouent des relations diplomatiques.